Evolution Saisonnière de la Production de Silice Biogénique dans l’Océan de Surface

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Facteurs de contrôle de la fixation et de l’export de carbone dans l’Océan Austral

Dans l’Océan Austral, le transfert de CO2 atmosphérique vers l’océan s’opère par le biais de l’action combinée de mécanismes appelés pompes à carbone. Les réactions physico-chimiques du CO2 avec l’eau de mer contrôlées par son équilibre thermodynamique à l’interface air-mer (loi de Henry) et combinées à son transport vertical via la circulation thermohaline, constituent la pompe physique de carbone (ou pompe de solubilité). La dissolution du CO2 dans l’eau de mer est donc un processus abiologique, favorisé dans les eaux froides des hautes latitudes. La transformation du carbone inorganique dissous (Dissolved Inorganic Carbon ou DIC) par les micro-organismes photosynthétiques, dans la couche éclairée de l’océan (couche euphotique), en carbone organique dissous et particulaire (DOC et POC) constitue la première étape de la pompe biologique de carbone (Fig. I.3.). Une grande partie de ce carbone organique est directement reminéralisé à l’échelle saisonnière dans la couche de mélange par les organismes hétérotrophes (bactéries et zooplancton). Le carbone non recyclé dans les couches superficielles de l’océan est quant à lui exporté vers l’océan plus profond où il continue à se reminéraliser et est stocké sur des périodes s’étendant de plusieurs milliers à plusieurs millions d’années en fonction de la profondeur à laquelle il est exporté (Boyd & Trull, 2007 ; Fig. I.3). Cette notion de profondeur d’export (et donc de durée de stockage) dépend fortement des processus physiques et biogéochimiques tels que la vitesse de sédimentation des particules ou l’activité de reminéralisation bactérienne, et implique que seulement une très faible fraction du carbone organique produit en surface atteint les sédiments (François et al., 2002 ; Klaas & Archer, 2002). La pompe biologique de carbone est donc le résultat d’interactions complexes entre les processus biogéochimiques qui contrôlent l’intensité de la production de carbone organique (production primaire) dans l’océan de surface et ceux qui définissent l’efficacité de l’export de cette production en profondeur. L’identification et la quantification des impacts de ces différents processus ainsi que leurs réponses aux variations de l’environnement, en particulier dans les hautes latitudes, est un enjeu majeur de la recherche dans le contexte actuel de changement climatique (Achterberg, 2014).
Figure I.3. Représentation schématique de la pompe de carbone biologique et des échelles de temps correspondant aux profondeurs et aux masses d’eau dans lesquelles est exporté et stocké le carbone organique (Corg) produit en surface (Adapté d’après Chisholm, 2000 et Boyd & Trull, 2007). De la surface vers le fond : Eau de Surface Antarctique (AASW), Eau Modale Sub-Antarctique (SAMW), Eau Antarctique Intermédiaire (AAIW) et Eau Antarctique de Fond (AABW).
Dans l’Océan Austral, la production primaire et l’export de matière organique sont généralement decouplés et soumis à une très forte saisonnalité (Quéguiner, 2013). En effet, les caractéristiques particulières de cet océan (l’influence de la couverture saisonnière de glace, les périodes irrégulières d’ensoleillement, ainsi que le régime des vents particulièrement intenses dans cette région du globe) génèrent des conditions optimales pour la croissance du phytoplancton en début d’été lorsque la colonne d’eau est fortement stratifiée, que les concentrations en nutriments sont élevées et que l’éclairement est maximum. L’export de matière, en revanche, s’effectue le plus souvent lors d’épisodes de déstabilisation de la couche de mélange induits par les vents violents qui s’établissent plutôt au début de l’automne (Quéguiner, 2013). Cependant, en dépit de concentrations relativement importantes de nutriments (en particulier les nitrates) disponibles dans les eaux de surface en début de saison, les concentrations en chlorophylle a (Chl a), indicateur de la biomasse phytoplanctonique, et les taux de production primaire nette demeurent relativement faibles (Chl a < 0.5 mg m-3, Arrigo et al., 1998 ; Moore & Abbot, 2000 ; Sokolov & Rintoul, 2007). L’océan Austral représente ainsi la plus grande Zone HNLC (High-Nutrient Low-Chlorophyll) à la surface de la planète (Martin, 1990). En effet, durant l’hiver, la circulation thermohaline, combinée à un mélange vertical particulièrement intense, transporte les eaux profondes vers la surface et représente le mécanisme majeur d’apport de nutriments dans la couche euphotique (Marshall & Speer, 2012). En raison du faible développement phytoplanctonique, les stocks de nitrates (NO3-) et phosphates (PO43-) présents dans la couche de mélange à la fin de l’été ne sont pas totalement épuisés (e.g. Mosseri et al., 2008). La conséquence majeure de cette situation est que de grandes quantités de nutriments non utilisés (appelés alors préformés) quittent la couche de surface, via la formation des AAIW et SAMW, et sont redistribués dans les eaux de surface des faibles et moyennes latitudes (Sarmiento et al., 2004).
Contrairement à d’autres régions océaniques, la production primaire dans l’Océan Austral serait contrôlée simultanément par différents facteurs limitants au cours de la saison (Boyd et al., 1999 ; 2001). Les faibles conditions d’éclairement induites par un régime de mélange vertical défavorable sont probablement la cause principale de la limitation de la croissance du phytoplancton en hiver ou au début du printemps (Nelson & Smith, 1991 ; Blain et al., 2001). Durant l’été, la production primaire n’est plus limitée par des paramètres physiques mais principalement par la disponibilité en éléments traces (ou micronutriments) tels que le fer. En effet, de nombreuses études ont montré que le fer jouait un rôle clé dans le contrôle de la croissance des micro-organismes photosynthétiques en particulier au sein de l’ACC (Boyd, 2002a ; de Baar et al., 2005 ; Boyd et al., 2007). Enfin, à la fin de l’été, l’augmentation de la prédation par le zooplancton herbivore contribue également au déclin du bloom phytoplanctonique (Smetacek et al., 2004 ; Safi et al., 2007). L’importance relative de ces différents facteurs dans l’Océan Austral est encore aujourd’hui sujet à débat (Boyd, 2002b), néanmoins, il semble que le fer joue un rôle fondamental. En effet, malgré des concentrations en fer dissous (dFe) généralement très faibles dans les eaux de surface antarctiques (en moyenne de 0.221 à 0.317 nM ; Tagliabue et al., 2012), des blooms importants et récurrents sont observés localement à proximité des sources de fer telles que les marges continentales, les remontées du plancher océanique entourant certaines îles et les régions frontales (Blain et al., 2007 ; Bowie et al., 2009 ; Tagliabue et al., 2012). D’autres types de sources peuvent également favoriser de façon saisonnière la croissance du phytoplancton. Par exemple, ces apports de fer peuvent avoir lieu sous la forme de dépôts de poussières atmosphériques (Tagliabue et al., 2009) ou encore de la fonte de la banquise (e.g. Lannuzel et al., 2007 ; Van der Merwe et al., 2011). Dans la grande majorité des cas, l’apport de fer dans la couche de surface s’effectue par diffusion diapycnale (c’est-à-dire perpendiculaire au gradient de densité), lors des remontées d’eau profondes (par exemple lié à un transport d’Ekman), ou par mélange (ou entrainement) vertical (Tagliabue et al., 2014).
Depuis que le statut de zone HNLC de l’Océan Austral lié aux faibles concentrations en fer mesurées a été établit, de nombreuses études ont été mises en place afin d’étudier les origines et les conséquences d’une telle limitation en fer ainsi que la réponse de la pompe biologique de carbone face à un enrichissement (naturel ou artificiel) en fer (de Baar et al., 2005 ; Boyd et al., 2007). Dans le contexte du changement climatique actuel, l’idée de fertiliser artificiellement en fer les régions HNLC de l’océan afin de stimuler la pompe biologique et d’augmenter la capacité de l’océan à absorber le CO2 anthropique a progressivement émergé et s’est appuyée principalement sur les processus biogéochimiques qui interviennent au sein de deux hypothèses majeures en paléo-océanographie :
– L’ « hypothèse du fer » de John Martin (1990) propose que les cycles glaciaires-interglaciaires du CO2 atmosphérique pourraient être en partie contrôlés par les variations des apports atmosphériques de fer dans l’Océan Austral, qui favoriseraient localement la production primaire en période glaciaire diminuant significativement la pCO2 atmosphérique (de l’ordre de 40 % inférieure à la pCO2 actuelle ; Petit et al., 1999).
– La « Silicic Acid Leakage Hypothesis » (SALH) proposée par Matsumoto et al. (2002), attribue pour partie ces modifications glaciaires-interglaciaires de pCO2 (environ 50 ppm sur les 100 ppm observés) à une influence plus indirecte des variations des flux de fer, qui dans ce cas, découpleraient les cycles biogéochimiques de l’azote et du silicium dans la couche de mélange de l’ACC. Ceci modifierait la disponibilité des nutriments préformés exportés aux plus faibles latitudes via la circulation thermohaline et augmenterait l’efficacité de la pompe biologique dans ces régions océaniques.
Néanmoins, de nombreuses interrogations demeurent en ce qui concerne l’efficacité réelle de telles fertilisations artificielles, ainsi que sur leurs conséquences sur l’équilibre des systèmes chimiques et biologiques de l’océan (Buesseler & Boyd, 2003). Par exemple, d’après les modèles biogéochimiques couplés aux modèles de circulation océaniques, une diminution de la pCO2 atmosphérique de 15 ppm à 33 ppm serait possible uniquement dans le cas d’une fertilisation globale et continue de la totalité de l’océan mondial pendant une période d’un siècle, ce qui est techniquement irréalisable (IPCC, 2013).
Certains programmes d’observations et de collecte de données à l’échelle mondiale tels que le programme GEOTRACES, intègrent en partie ces interrogations à leurs objectifs généraux. GEOTRACES est un programme international de recherche ayant pour but de cartographier la distribution des éléments en traces et de certaines compositions isotopiques dans l’océan ainsi que de comprendre les processus biogéochimiques contrôlant leur distribution. Ce programme comporte de nombreuses campagnes océanographiques, regroupées en « Process Studies » et « Section Cruises ». Les premières ont pour objectif de documenter l’ensemble des processus contrôlant les cycles biogéochimiques des nutriments dans une région d’intérêt. Les campagnes KEOPS (janvier-février 2005) et KEOPS-2 (octobre-novembre 2011) qui se concentrent sur le Plateau de Kerguelen dans le secteur indien de l’Océan Austral font parties de ce type de campagnes océanographiques et seront discutées dans les chapitres 1 et 2 de cette thèse. Les « Section Cruises » telles que le transect SR3 au sud de l’Australie (présenté dans le chapitre 3), sont plutôt dédiées à l’étude de la variabilité saisonnière de la distribution des éléments en étant régulièrement revisitées à différentes périodes de l’année.

Le cycle biogéochimique du silicium dans l’Océan Austral

Dans l’Océan Austral, la production primaire est très souvent dominée par des groupes phytoplanctoniques siliceux, dont le succès écologique semble principalement lié à leur capacité à former une paroi cellulaire de silice amorphe. En représentant le principal vecteur de la pompe biologique de carbone dans ces régions de hautes latitudes, ces organismes permettent un lien étroit entre le cycle biogéochimique du silicium et celui du carbone, ainsi que celui d’autres éléments tels que l’azote. L’étude du cycle biogéochimique du silicium (par la quantification des différents réservoirs et flux) présente donc un intérêt scientifique majeur (Fig. I.4.), en particulier dans l’ACC dont les eaux de surface se caractérisent par un gradient des concentrations en silicium dissous extrêmement important (Sarmiento et al., 2004) et dont les dépôts sédimentaires sont quasiment exclusivement siliceux.
Figure I.4. Représentation schématique du cycle biogéochimique du silicium dans l’Océan Austral (modifié d’après Tréguer & De la Rocha, 2013 et Tréguer, 2014). Les flèches grises représentent les flux (F) de silicium dissous (en Tmoles Si an-1) : FR(net) : apports net des fleuves; Fupw/ed : flux de DSi vers la couche de mélange et originaire du réservoir profond ; FD(surface) : Flux de DSi recyclé en surface ; FD(deep) : flux de DSi recyclé en profondeur ; FD(benthic) : flux de DSi recyclé à l’interface eau-sédiment ; FH : apports hydrothermaux. Les flèches noires représentent les flux de silicium particulaire (en Tmoles Si an-1) : FP(gross) : production de BSi ; FE(export) : flux de BSi exportée en profondeur ; FS(rain) : flux de BSi atteignant l’interface eau-sédiment ; FB(net deposit) : dépôt net de BSi dans les sédiments.
Au pH naturel de l’eau de mer (pH ≈ 8), le silicium dissous (ou DSi) se trouve principalement sous la forme d’acide orthosilicique (ou acide silicique) de formule H4SiO4. L’océan reçoit des apports d’acide silicique majoritairement depuis la lithosphère via les processus d’érosion des sols et de ruissellement (l’apport par les fleuves représente plus de 80% des flux en direction de l’océan, Tréguer & De La Rocha, 2013). Dans l’Océan Austral, les apports de silicium dans les eaux de surface se font en revanche principalement par mélange vertical : via la convection hivernale, la circulation thermohaline induisant des upwellings, ou la diffusion (Fupw/ed sur la figure I.4. ; Tréguer, 2014). Le temps de résidence du silicium dans l’océan étant très long (environ 10 000 ans ; Tréguer & De La Rocha, 2013), les variations des concentrations de DSi observées en surface sont donc la conséquence des apports et de l’activité biologique, cette dernière résultant de l’équilibre entre les mécanismes d’absorption par les organismes (ou uptake, FP(gross) sur la figure I.4.) et de dissolution des particules siliceuses (FD(surface) sur la figure I.4.). En effet, dans la couche euphotique de l’ACC, les organismes siliceux absorbent l’acide silicique et le polymérisent sous la forme de silice amorphe hydratée (SiO2.nH2O) ou opale, également appelée silice biogénique (BSi). La conséquence principale de cette activité biologique qui consomme le stock de DSi dans les eaux de surface, est la formation d’un gradient latitudinal des concentrations d’acide silicique qui s’étend sur toute la superficie de l’Océan Austral (Ragueneau et al., 2000 ; Sarmiento et al., 2004 ; Fig. I.5b.). Ainsi, les concentrations en DSi peuvent atteindre 100 µmoles L-1 au sud du PF et diminuent jusqu’à moins de 2 µmoles L-1 dans la SAZ en fonction de la saison (e.g. Brzezinski et al., 2001 ; Nelson et al., 2001). Les stocks de DSi ne sont donc jamais épuisés au cours de la saison dans la AZ, alors que la production biologique est limitée par de faibles concentrations d’acide silicique de façon saisonnière dans la PFZ (uniquement à la fin de l’été) et de façon permanente dans la SAZ (Rintoul et al., 2001 ; Trull et al., 2001 ; Fig. I.5a.).
Figure I.5. (a.) Evolution saisonnière des concentrations de surface de DSi (en µmoles L-1) en fonction de la latitude (adapté d’après Nelson et al., 2001 et Sarmiento et al., 2004). (b.) Distribution des concentrations moyennes annuelles de DSi en surface (en µmoles L-1), les lignes noires représentent la position des principaux fronts (du nord au sud les Fronts Sub-Tropicaux Nord et Sud, le Front Sub-Antarctique et le Front Polaire).
La production de silice biogénique moyenne de l’ACC a été estimée à 80 ± 10 Tmoles Si an-1 (Pondaven et al., 2000), ce qui représente environ un tiers de la production marine totale de BSi. A
l’échelle globale comme dans l’Océan Austral, environ 50 % de cette production brute est directement recyclée dans les couches superficielles entrainant un apport significatif de DSi dans la ML (Tréguer & De La Rocha, 2013 ; Holzer et al., 2014). On peut donc très certainement envisager que dans certaines zones de l’ACC et/ou à certaines périodes de l’année, la production de silice dans la couche euphotique puisse être basée sur du silicium régénéré plutôt que sur un apport depuis les couches plus profondes de l’océan. Ainsi, seules les particules siliceuses échappant à cette dissolution seront exportées dans l’océan profond puis éventuellement stockées dans les sédiments, cette sédimentation ne représenterait que 3 % de la BSi produite en surface (Tréguer & De La Rocha, 2013). Néanmoins, l’accumulation d’opale dans les sédiments est très importante dans cette région de l’océan, en particulier au sud du PF où elle peut atteindre jusqu’à 90% du poids sec de sédiments, et contribue entre 17 et 37 % de l’opale sédimentaire globale (Ragueneau et al., 2000 ; Fig. I.6.).
Figure I.6. Distribution des sédiments siliceux dans l’océan global (en % de la masse sèche de sédiments), modélisée pour la période pré-industrielle. D’après Ragueneau et al. (2000).
En résumé, la silice biogénique est produite par les organismes siliceux dans la couche euphotique. Une partie de ce flux est directement recyclée dans l’océan de surface, et l’autre partie est exportée sous la couche de surface. La BSi exportée continue de se dissoudre lorsqu’elle sédimente à travers l’océan profond, régénérant l’acide silicique. Les particules siliceuses qui ne sont pas recyclées sont finalement stockées dans les sédiments. C’est donc dans la couche euphotique que le cycle biogéochimique du silicium est le plus dynamique et il a été estimé qu’un atome de silicium subit en moyenne 25 cycles d’absorption biologique – dissolution dans l’océan superficiel avant d’être enfoui dans les sédiments (Tréguer & De La Rocha, 2013). De nombreuses incertitudes demeurent quant à la quantification de ces flux, notamment en raison des difficultés analytiques rencontrées dans la mesure de la production et la dissolution de la silice biogénique. En effet, la méthode de marquage radioactif au 32Si (Tréguer et al., 1991) permet d’avoir accès à l’uptake de silicium (ρSi) mais ne donne pas d’information sur la production nette de BSi (i.e. le taux de production moins le taux de dissolution de BSi ; ρNet = ρSi – ρDiss) puisqu’elle ne donne pas accès à la mesure du taux de dissolution de la silice biogénique. Certaines estimations de la production de silice biogénique sont donc biaisées car elles ne tiennent pas compte du recyclage de l’opale dans la ML (e.g. les taux de production en fin de saison sur le plateau de Kerguelen ; Mosseri et al., 2008). Actuellement, en dehors des approches de modélisation (Pondaven et al., 2000 ; Jin et al., 2006 ; Holzer et al., 2014) le taux production nette de BSi ne peut être mesuré avec une précision satisfaisante que grâce à la technique de dilution isotopique du 30Si (Corvaisier et al., 2005), modifiée par Fripiat et al. (2009). Cette méthode permet en effet de déterminer simultanément les taux de production et de dissolution de la BSi à partir du même échantillon. Malheureusement, jusqu’à présent ce procédé ne permet de mesurer que difficilement les taux de dissolution extrêmement faibles rencontrés dans l’ACC (Fripiat et al., 2011c). L’Océan Austral reste donc particulièrement sous-échantillonné en ce qui concerne la mesure des flux de production et de dissolution de la silice biogénique.
Les processus de production et de dissolution du silicium permettent de lier les cycles biogéochimiques du silicium et ceux du carbone et des autres macronutriments (NO3- et PO43-). Dans l’ACC on observe généralement une plus forte diminution saisonnière des stocks d’acide silicique que des autres nutriments dans les eaux de surface, suggérant un découplage important entre les cycles biogéochimiques de ces différents éléments (e.g. Trull et al., 2001 ; Mosseri et al., 2008). Ce découplage résulte de l’action de la pompe de silicium (Dugdale et al., 1995) impliquant une consommation dans la ML et un export du silicium plus efficace comparé aux autres éléments tels que l’azote ou le phosphore (Holzer et al., 2014). En effet, en raison de son incorporation dans une structure minérale telle que l’opale, le silicium est moins efficacement reminéralisé dans la colonne d’eau que l’azote ou le phosphore organique, favorisant ainsi son export sous la forme de BSi vers l’océan profond et entraînant simultanément un enrichissement des eaux profondes antarctiques en DSi comparé aux eaux de surface. L’azote organique particulaire est quant à lui principalement recyclé dans la ML sous la forme d’ammonium (NH4+), représentant une source d’azote régénérée significative pour le développement de nouveaux organismes phytoplanctoniques (Voss et al., 2013). La principale conséquence de cette pompe de silicium particulièrement active dans l’Océan Austral est l’absence de formation de H4SiO4 préformés dans les eaux intermédiaires. Ceux-ci ne seront donc pas transportés vers les basses latitudes via l’export des AAIW et des SAMW comme c’est le cas pour les autres nutriments (NO3- et PO43- ; Sarmiento et al., 2004 ; 2007 ; Fig. I.7.). Le silicium est donc confiné dans les eaux antarctiques par ce processus et une molécule d’acide silicique consommée puis recyclée dans l’ACC n’aurait que 5 % de chance d’être exportée et de nouveau utilisée au nord de 38°S (Holzer et al., 2014). Malgré le développement récent de l’intérêt scientifique et l’avancée des connaissances dans ce domaine, de nombreux efforts sont encore à fournir quant à la compréhension des facteurs contrôlant la pompe de silicium et le découplage saisonnier entre les cycles biogéochimique du silicium et ceux des autres macronutriments ; ainsi que la quantification précise de l’export et du recyclage du silicium dans l’Océan Austral.
Figure I.7. Représentation schématique des processus biogéochimiques contrôlant la concentration en nutriments (H4SiO4 et NO3-) en lien avec la circulation océanique de l’Océan Austral (modifié d’après Sarmiento et al., 2004). Les eaux riches en nutriments (Eaux profondes Circumpolaires, CDW) remontent en surface où elles sont appauvries en Si, et exportent du N préformé en plongeant en subsurface (Eaux Antarctiques Intermédiaires, AAIW et Eaux Modales Sub-Antarctiques, SAMW). Les lignes pointillées représentent la position des fronts qui délimitent les zones océaniques. Du sud vers le nord: la Zone Antarctique (AZ), le Front Polaire (PF), la Zone du Front Polaire (PFZ), le Front Sub-Antarctique (SAF), la Zone Sub-Antarctique (SAZ) et le Front Sub-Tropical (STF).

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Les diatomées : acteurs majeurs de la pompe à silicium dans l’Océan Austral

Dans l’ACC, la production de silice biogénique est attribuée principalement aux diatomées, la contribution précise des autres organismes siliceux (silicoflagellés, radiolaires) est mal connue mais est très probablement beaucoup plus faible que celle des diatomées. Ces organismes ubiquistes sont des eucaryotes unicellulaires qui dominent généralement la production primaire dans les hautes latitudes de l’hémisphère sud où elles peuvent représenter jusqu’à 75 % de la population phytoplanctonique (Tréguer et al. 1995 ; Ragueneau et al., 2000). Les diatomées ont la particularité d’être entourées d’une paroi externe siliceuse appelée frustule, qui est généralement constitué de deux valves emboîtées, plus ou moins ornementées et entourées d’une ou plusieurs bandes transversales dites cingulaires (Fig. I.8a.). Ce frustule leur confère ainsi un avantage écologique non négligeable, notamment en ce qui concerne la protection contre les agressions extérieurs (prédation, etc.). Leur classification spécifique repose ainsi sur la forme et les éléments d’ornementation de leurs frustules qui se caractérisent par une très grande diversité de structures. Parce que ce sont des organismes siliceux, les diatomées nécessitent pour leur croissance et leur division des apports suffisants de DSi. Le métabolisme du silicium constitue ainsi chez ces organismes un métabolisme majeur au même titre que celui du carbone ou de l’azote (Martin-Jézéquel et al., 2000).
Figure I.8. (a.) Photographie de diatomées (Fragilariopsis kerguelensis) en vues cingulaires (en haut) et valvaires (en bas), obtenue en microscopie électronique à balayage et illustrant la morphologie des diatomées (Crédit photo : I. Closset, plateforme analytique ALYSES). (b.) Représentation schématique de la division cellulaire d’une diatomée: A. Cellule-mère; B. 2 cellules-filles dans le frustule de la cellule-mère; C. Synthèse des valves; D. Exocytose des valves; E. Séparation des 2 cellules-filles. Adapté d’après Hildebrand et al. (2008).
Les diatomées peuvent opter pour la reproduction sexuée, mais se développent généralement par division végétative, chaque cellule fille récupérant une des valves de la cellule mère (Fig. I.8b.).

Table of contents :

INTRODUCTION GENERALE
1. L’Océan Austral et son rôle dans le climat
2. Facteurs de contrôle de la fixation et de l’export de carbone dans l’Océan Austral
3. Le cycle biogéochimique du silicium dans l’Océan Austral
4. Les diatomées : acteurs majeurs de la pompe à silicium dans l’Océan Austral
5. Fonctionnement du système isotopique du silicium
6. Objectifs de la thèse
7. Références bibliographiques
CHAPITRE I : Evolution Saisonnière de la Production de Silice Biogénique dans l’Océan de Surface
1. Préambule
2. Article 1 : Seasonal evolution of net and regenerated silica production around a natural Fefertilized area in the Southern Ocean estimated from Si isotopic approaches
CHAPITRE 2 : Facteurs de Contrôle des Variations Saisonnières des Isotopes du Silicium
1. Préambule
2. Article 2 : Controls on seasonal variations of Si isotopic composition of diatoms and seawater related to iron supply and mesoscale activity in the naturally Fe-fertilized Kerguelen area (Southern Ocean)
CHAPITRE 3 : Variations Saisonnières, Origine et Devenir du Flux de Diatomées dans la Colonne d’eau
1. Préambule
2. Article 3 : Seasonal variations, origin and fate of settling diatoms in the Southern Ocean tracked by silicon isotope records in deep sediment traps

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