Intuition linguistique et caractère idiomatique d’une langue

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Traduction à vue

La traduction dite à vue consiste en une traduction orale d’un texte écrit. Il s’agit d’une technique difficile à maîtriser, même avec une parfaite maîtrise des langues concernées. Cependant, elle se révèle d’un grand intérêt pédagogique et surtout communicatif pour l’apprenant de FLE, qui peut non seulement perfectionner sa compétence en traduction mais également améliorer sa compétence linguistique. Il développera aussi une compétence discursive et textuelle, pragmatique, sociolinguistique, stratégique, en somme tous les éléments d’une compétence communicative langagière, lui permettant de surmonter les interférences linguistiques avec la langue de référence ou la langue source.

En quoi consiste la traduction à vue ?

Avant de formuler une définition de la traduction à vue, il nous semble plus urgent de nous pencher sur la notion de la traduction au sens général du terme, communément définie comme l’acte de passer d’une langue vers une autre, définition qui s’applique aussi bien à la traduction écrite qu’à l’interprétation. Cette définition nécessite toutefois d’être revue afin d’éliminer définitivement toute réflexion simpliste sur la traduction. Selon une première conception naïve, qui est malheureusement la plus répandue, la traduction consisterait en un transcodage d’un système de codes vers un autre et la seule contrainte réelle lors de cette activité serait le respect des règles grammaticales de la langue d’arrivée. La seconde qui en découle est qu’il suffit d’avoir un dictionnaire pour traduire d’une langue vers une autre. Nous estimons qu’il est d’autant plus impératif de rompre avec cette conception absurde que c’est aussi celle que partagent les étudiants en règle générale. Les dissertations que nous recevons quotidiennement en tant qu’enseignants en témoignent. Combien d’étudiants parviennent vraiment à se servir des dictionnaires à bon escient pour vérifier un mot ou une expression et non pas pour traduire une formulation qui existe en anglais uniquement dans leur tête ? Très peu, en réalité. Or, cette idée reçue persiste chez les étudiants, de même que cette utilisation intempestive du dictionnaire. Pire encore, les étudiants n’apprendront jamais à éviter cet écueil au moment de l’expression et ils continueront à appliquer une méthode de traduction littérale par le biais d’une traduction mentale, faute de dictionnaire, si la
première idée fausse n’est pas rejetée à tous les niveaux, et ce tout particulièrement chez les enseignants de langue. Le seul respect du code linguistique ne permet pas la communication, ni en cours de langue, ni ailleurs. Pour que la langue devienne discours, pour qu’elle communique un sens, il faut déployer des compétences extralinguistiques, voire pragmatiques1, ce qui constitue un réflexe naturel dans la communication en langue première, mais qui est négligé lors de l’expression en langue étrangère.
Il faut impérativement développer un esprit critique de ce qu’est la véritable traduction, car une approche linguistique2 de la traduction ne ferait qu’accentuer les problèmes de nos étudiants qui, bien qu’ils connaissent partiellement les règles, ne savent que très rarement les appliquer au contexte à bon escient. Ils ont donc tendance à vouloir transcoder non seulement les mots, mais aussi les règles de leur propre langue. Or, c’est justement contre cette conception formelle de la traduction qu’il faut lutter. Disons-le dès à présent avec E. Coseriu :
[…] les langues ne se traduisent pas : elles n’en sont pas l’objet, mais, avec leur structure matérielle et sémantique, l’instrument ou le moyen de la traduction. Le véritable objet de la traduction, ce sont les « discours » ou « textes ».
Nous reviendrons largement sur ce qui fait la différence entre le niveau de la « langue » et celui du « discours » ou du « texte ». Pour le moment, nous nous contenterons d’identifier les dangers d’une approche linguistique – à la fois pour l’apprenant et le traducteur – et de signaler d’emblée que nous rejetons cette approche, pour en adopter une qui est orientée vers la textualité et le sens.En effet, la traduction digne de ce nom ne s’occupe pas de systèmes et ne se focalise pas sur des règles. Elle est une reformulation, elle se préoccupe de réexprimer le sens du texte de départ d’une manière authentique à la langue et la culture cibles ; les règles de grammaire et les mots sont secondaires. Finalement, une traduction de qualité ne laisse par soupçonner qu’il s’agit d’une traduction et donne donc l’impression d’être un texte original. Cette approche est la seule qui a droit de cité, aussi bien dans la traduction écrite que dans la traduction orale que constitue l’interprétation, ainsi qu’en didactique des langues. La traduction à vue en bonne et due forme s’inscrit parfaitement dans cette seconde approche, qui offre de nombreuses possibilités pédagogiques et professionnalisantes.
Par traduction à vue, les interprètes de conférence entendent la traduction orale au rythme légèrement inférieur à celui de la lecture d’un texte écrit. Elle s’effectue sans lecture du texte dans son entier ou de chaque phrase de bout en bout avant de traduire. La traduction à vue nous permet de passer rapidement d’une langue à une autre en limitant le temps de réflexion. Lors de la formation des interprètes en institution spécialisée, elle constitue une étape initiale, avant d’introduire l’interprétation consécutive ou simultanée, justement grâce à la technique de la compréhension et la réexpression simultanée qu’elle permet de
mettre en place. Les interprètes de conférence se servent de cette technique au quotidien pour se maintenir à niveau ou lors de l’interprétation simultanée en cabine dans le cas où l’orateur leur fournit au préalable une version écrite de son discours. Les traducteurs s’en servent également sous une forme mentale avant de coucher leur traduction sur le papier. On demande également aux traducteurs ou interprètes de liaison de traduire à vue lors de réunions ou autres rencontres.
La méthode de cette forme orale de traduction repose sur la capacité d’accéder au sens du texte source en faisant abstraction de sa forme et de ses composants linguistiques1 pour produire un message équivalent dans la langue cible. De plus, elle constitue un outil précieux pour apprendre aux étudiants à limiter les interférences avec l’autre langue de travail, notamment l’anglais dans notre cas1. Il s’agit cependant d’une technique difficile à maîtriser et les étudiants ont besoin en règle générale de plusieurs séances avant de parvenir à une véritable traduction fluide à première vue. Dans un premier temps, nous accepterons donc que les étudiants effectuent une exploration rapide de chaque phrase ou partie de phrase pour assimiler la technique. L’enseignant peut également procéder à une lecture à haute voix, lecture qui guidera les étudiants quant au sens grâce à une intonation exagérément marquée2. Cette oralité de la traduction ne constitue qu’un des avantages de cette technique que nous examinerons ci-après.

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Pourquoi la traduction à vue ?

Outre une compétence linguistique approfondie, il faut former les étudiants à la mise en oeuvre de toutes les compétences dont ils disposent pour ne pas céder à la tentation des calques. Comme nous l’avons déjà évoqué, nous estimons que ces transcodages, aussi bien lexicaux que syntaxiques, constituent l’obstacle majeur à une meilleure expression de nos étudiants. Le moyen le plus efficace d’y remédier serait de puiser dans une discipline où cette opération de transcodage est formellement proscrite (pour ce qui est de la traduction professionnelle en tout cas) et où la tentation d’avoir recours à ces transcodages est multipliée. La traduction à vue s’est offerte à nous, car, encore plus efficace que la traduction écrite, elle s’apparente aussi à l’interprétation qui se distancie davantage d’une approche linguistique formelle.
Une production décevante en langue étrangère est largement imputable à ce que D. Little qualifie de « décrochage » entre la compétence linguistique et l’expression réelle3. Il précise que ce décalage est davantage marquant dans une situation exolingue4, puisque l’apprentissage (durant lequel les règles et le lexique sont assimilés) est rarement suivi d’une « réalisation »1, c’est-à-dire d’une mise à l’épreuve dans un but communicatif réel.
Bien que, au sein de l’approche communicative, on oeuvre pour atténuer ce phénomène grâce à une appropriation par la communication, un tel enseignement est rarement suffisant pour développer toutes les autres compétences dont l’apprenant a besoin pour aligner sa performance sur sa compétence linguistique. Or, les exercices de traduction encadrés permettent de s’exercer aux stratégies de communication afin de pallier des lacunes temporaires ou persistantes d’ordre linguistique sans avoir recours à des stratégies de transfert de sa langue de référence ou d’une autre langue tierce, qui compromettent davantage sa performance. Nous reviendrons longuement dans les chapitres 15 et 16 sur ces stratégies que nous souhaitons développer chez nos apprenants, par le biais de la traduction.
Etant donné que les interprètes et les traducteurs parviennent à surmonter les interférences, nous avons choisi la traduction à vue pour tenter de recréer le mieux possible la situation de l’interprète, à une différence près : nos étudiants s’expriment dans une langue étrangère en cours d’apprentissage. Cependant, nous avons tenté de réunir chez nos étudiants les autres critères qui caractérisent la situation du professionnel. De même que l’interprète, ils possèdent dans l’idéal une parfaite connaissance de la langue de départ et des connaissances thématiques suffisantes pour leur permettre de comprendre le sens du texte source. D’une part, l’anglais constitue la langue de départ et d’autre part, toute lacune de connaissance thématique est comblée de diverses façons par l’enseignant, des séquences vidéo, etc. Ainsi, la compréhension des étudiants devrait être suffisante pour appréhender le sens du message.
En revanche, l’interprète maîtrise également parfaitement la langue d’arrivée, ce qui lui permet de s’exprimer librement sans s’appuyer sur les formes de la langue source (cette abstraction de la langue source a bien sûr fait l’objet d’un apprentissage conscient). Contrairement à lui, les apprenants de FLE dont nous avons la charge manquent de ressources linguistiques pour reformuler ce sens dans un français idiomatique et ils ont encore davantage tendance à se reposer sur les mots et structures de la langue source au moment de la réexpression, ce qui nous donne l’occasion de mettre en place des compétences stratégiques pour compenser d’éventuels déficits linguistiques ; autrement dit, pour combattre toute interférence de l’anglais de manière explicite.
Quoique l’interprétation et la traduction professionnelles fassent généralement l’objet d’une formation spécialisée de niveau Masters, un apprentissage de ces disciplines, et en particulier de la technique de la traduction à vue, présente de nombreux avantages pour les étudiants non diplômés. Outre le premier aperçu du métier d’interprète et de traducteur qu’elle leur fournit et le moyen d’éviter les interférences intempestives, la pratique de cette technique n’accélère pas seulement le développement d’une compétence de communication, mais aussi sa mise en oeuvre, améliorant ainsi la performance des apprenants en français. La traduction à vue est également semblable à la communication monolingue dans sa forme interactive, à savoir le dialogue. Outre le fait qu’elle simule l’échange dialogique des participants, dans la mesure où elle réunit une compréhension et une production, elle constitue un véritable acte de communication qui s’inscrit au centre d’un dialogue réel1. Non seulement le traducteur est à la fois le récepteur et l’émetteur du message, mais il y participe activement et puise le sens dans le contexte. Cette imitation d’une situation réelle d’énonciation est aussi porteuse de sens, comme nous le verrons ultérieurement dans cette partie.
Une question persiste cependant : comment l’apprenant de FLE, en dépit de ses connaissances linguistiques défaillantes, pourrait-il être susceptible de maîtriser cette technique extrêmement compliquée ? Heureusement, il ne se trouve pas dans la même situation que l’interprète, car c’est précisément l’environnement de la classe, ainsi que la présence de l’enseignant et des autres étudiants, qui concourent à sa réussite. L’étudiant n’est donc jamais mis en situation d’échec, car l’enseignant gère soigneusement la quantité d’aide qu’il convient de lui apporter.

PARTIE I – RECHERCHE THÉORIQUE 
Section A 
1. Introduction
2. Traduction à vue
2.1 En quoi consiste la traduction à vue ?
2.2 Pourquoi la traduction à vue ?
2.3 Exercices d’expression orale complémentaires
Section B 
3. L’importance de la traduction dans l’enseignement du FLE : de la méthode traditionnelle à l’approche communicative
4. La traduction dans l’approche communicative et au-delà
5. Méthodes de traduction et d’interprétation
5.1 Méthode comparative
5.2 Méthode fonctionnelle
5.3 Méthode interprétative
6. Réflexions sur le processus traductif
7. Déverbalisation
8. Approche dialogique et interactive de la traduction
9. Approche pragmatique de la traduction
10. Pour une approche globale de la traduction au service de toute communication interculturelle
Section C 
11. Intuition linguistique et caractère idiomatique d’une langue
12. Traduction mentale
13. Transfert et interférences
13.1 Mise au point terminologique
13.2 Transcodage ou équivalence
13.3 Interférences ou interlangue
13.4 Origine des interférences
13.5 Marques transcodiques
13.6 Surmonter les interférences
14. Erreurs de méthode
15. Stratégies d’apprentissage et de communication
16. Stratégies de production et de traduction
16.1 Stratégies de traduction
16.1.1 Evitement
16.1.2 Transfert
16.1.3 Réduction
16.1.4 Réexpression
16.1.5 Anticipation
16.1.6 Prise de risques
PARTIE II – RECHERCHE EMPIRIQUE 
17. Cadre expérimental
18. Description de l’enseignement de la technique au groupe ciblé
19. Procédés d’évaluation
20. Analyse du déroulement étape par étape
21. Evaluation du groupe ciblé et interprétation des résultats
22. Résultats et limites de la recherche
23. Conclusions
24. Formation des formateurs
25. Recherches futures
Postface
Bibliographie 
Liste des oeuvres citées
Liste des oeuvres consultées
Articles des revues et journaux électroniques cités
Annexe A 
Annexe B
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